Jérôme Martin, 46 ans, avait passé des années à écouter les tourments de ses patients, mais ces derniers mois, il se sentait de plus en plus mal à l’aise dans son rôle de psychologue. Assis dans son bureau qu’il avait voulu si confortable et apaisant, il réfléchissait à ce mal-être grandissant.
Les soucis avaient commencé lorsqu’il avait reçu la visite de Claire X., une jeune femme tourmentée par des cauchemars récurrents. Alors qu’il cherchait l’origine de ses angoisses, il avait été submergé par un sentiment d’impuissance. De séance en séance, l’absence de progrès de sa patiente le mettait de plus en plus mal à l’aie. Les nuits de Claire semblaient être le miroir de ses propres angoisses. Il se demandait s’il pouvait vraiment faire la différence avec sa vie. Il avait eu des cauchemars similaires récemment.
La semaine suivante, c’était Michael X, un homme brisé par une dépression profonde. La principale cause : une grande solitude dû en partie à son célibat de bientôt trois ans. Jérôme avait l’impression que chaque mot prononcé par Michael était un reflet de ses propres luttes internes. Il était célibataire depuis six mois et en souffrait aussi beaucoup. Sa précédente relation de couple avait duré dix ans. La noirceur de l’âme de Michael avait éveillé des échos de ses propres démons intérieurs.
Plus il passait de temps avec ses patients, plus Jérôme se rendait compte qu’il partageait leurs douleurs et leurs inquiétudes. C’était comme si les frontières entre leurs esprits et le sien s’estompaient, laissant place à une sorte de fusion émotionnelle qui devenait insupportable. Il avait du mal à trouver l’équilibre entre empathie et distance professionnelle.
Un jour, il décida de consulter un collègue psychologue pour discuter de ses préoccupations. Son ami l’informa qu’il suivait lui-même régulièrement une supervision, qui lui permettait d’échanger sur ses patients difficiles et de développer ses pratiques, de mieux comprendre les frontières parfois fragiles entre les évènements difficiles de sa vie personnelle et ceux de ses patients. Son ami reconnaissait que c’était très compliqué pour lui d’être efficace ou assez présent professionnellement quand il était trop déprimé. Bien sur, un psychologue peut avoir des passages à vide, cela peut-être douloureux quand on est dans le mal-être d’entendre celui des autres.
Son ami lui rappela qu’en dehors de la supervision, il avait décidé de reprendre aussi un travail personnel en reprenant sa thérapie intégrant de nouvelles approches qui l’intéressait.
En comprenant qu’il restait trop seul face à ses difficultés, Jérôme commença à mettre en pratique les conseils de son ami : thérapie personnelle et supervision. Deux professionnels différents. Dans les semaines qui suivirent, il prit conscience d’une grande fatigue et comprit qu’il avait traversé une dépression suite à sa séparation et son célibat. Il retrouva peu à peu un nouvel équilibre, une nouvelle version de lui-même se mettant progressivement en place, retrouvant l’inspiration et la motivation de ses jeunes années mais dans un état d’esprit différent, plus apaisé et aligné sur de nouvelles valeurs et besoins.
Frédéric LAURA, psychologue superviseur
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